Boubchir ! une rencontre en Tunisie
Boubchir !
C’est le nom que donnent les habitants du Maghreb à la pie grièche grise (Lanius excubitor).
Vous allez penser,amis lecteurs de Gard nature que le père Bertozzi devient Fada!
C’est déjà bien assez compliqué de se rappeler du nom Français de toutes ces bestioles ! Voilà qu’il se met à délirer en voulant nous apprendre leurs noms en Arabe !
Le souvenir de vacance, ou plutôt le billet coup de cœur que je vais vous narrer, me donnera, j’espère, encore un peu de crédit à vos yeux…….
Flash back en novembre-décembre 2008 .
Il fait froid, le mistral glacial succède à la pluie. L’année a été éprouvante pour Maryvonne et moi. On tousse comme des forcenés.
Dans un râle, je lui propose d’aller se refaire une santé au soleil, sans destination bien définie .
Dans l’agence de voyage, sur le bureau de l’hôtesse, pêle-mêle,quelques promos-L’une d’entre elles attire notre attention : « Ile de Djerba-début janvier-massage-balnéo-prix canon! » Soyons fous, me suggère Maryvonne, entre deux toux catarrheuses, ça nous ramènera quelques décennies en arrière, lors de notre voyage de noces, allons-y !
L’idée d’aller au soleil, de se laisser vivre dans un mini palace, de se faire papouiller par des mains expertes, de revivre une seconde lune de miel propice à une relance de ma libido endormie…Tout me séduit dans cette aventure. On casse le petit cochon et on y va!
Quelques semaines plus tard, quelques centaines de kilomètres plus au sud,nous débarquons au milieu de la nuit, sous un crachin frisquet (tiens! la promo n’en parlait pas!) à Houmt-Souk,la capitale, puis dans l’hôtel avec nos valises dans les mains ,….et sous les yeux!
Le lendemain matin, sous un ciel enfin d’un bleu limpide, nous nous rendons à la salle de restaurant en savourant par la pensée les fameux jus d’oranges Tunisiens.Tiens! on ne tousse plus.
L’histoire de ma « Boubchir » commence ici.
L’ornitho qui est en moi repère alors dans un palmier dattier une magnifique pie grièche toute immaculée sous le soleil – Demi-tour immédiat à la chambre pour récupérer l’appareil photo, sous les « tu vas pas commencer! » que me reproche mon épouse – N’entendant rien, tous mes sens en éveil, je tente une approche de sioux. Je mitraille, je m’approche, je mitraille, je m’approche, je….ça alors, l’oiseau ne s’enfuit pas! Je suis à peine à trois mètres de lui. Chez nous dans nos collines provençales, la pie grièche grise, d’une sauvagerie extrême, est inabordable à moins de cent mètres!
C’est ainsi que j’ai pu faire connaissance pour la première fois avec cette jolie petite tueuse.
Quelques décennies plus tard, curieusement, l’émotion est restée intacte.
C’est un peu de cette émotion que j’aimerais partager avec vous (les autres ressenties tout au long de notre séjour, n’étant, bien entendu, pas de nature à vous passionner…!)
Cet individu, ou plutôt, ces individus ( puisqu’il n’était pas tout seul) semblaient incroyablement familiers.
L’anecdote assez surréaliste que je vais vous raconter témoigne de ce comportement atypique et représente un point d’orgue dans ma vie d’ornitho.
Après l’avoir prise en photo sous tous ses angles, avec au passage, d’autres espèces résidentes du quartier (Tourterelle maillée, Etourneau unicolore, Moineau espagnol ,…)
Je finis par être repéré par les touristes de l’hôtel et catalogué comme le photographe un peu illuminé des oiseaux!
Sans convictions aucunes, voilà Maryvonne sur un transat de plage, bras tendu avec une rondelle de salami chapardée au buffet dans la main, tenter un rendez vous avec notre amie masquée.
Surgissant de nulle part , voici notre lutin des sables qui vient se poser à coté, puis sur le transat, puis sur la jambe pour lui disputer le précieux sésame.
Le spectacle que j’avais sous les yeux, immortalisé par d’incessants clichés, me ravit comme un enfant devant une vitrine de Noël!
Je m’empresse de balayer l’idée que cette démarche n’est pas très « naturaliste » (l’imprégnation, c’est bien connu, pouvant induire des effets pervers sur la survie des animaux) .
Les « Boubchirs » semblant jouir d’un solide capital sympathie dans la culture Djerbienne, j’essaie de faire un parallèle avec le retour des hirondelles ou des cigognes qui, chez nous, est applaudi par tous, mais jamais un tel degré de familiarité n’a été atteint.
Je suppose que les autres espèces, régulièrement massacrées, leurs conseillent, dans leur langage d’oiseau, que même les favorites se doivent de garder une distance respectable avec l’homme.
La peur atavique de la pie grièche pour le bipède n’existe plus ici .
Je suppose qu’il aura fallu plusieurs générations de pie grièches pour en arriver là!
Qu’est ce qui a donc pu changer aussi radicalement par rapport à leurs cousines Européennes, comme d’ailleurs pour bon nombre d’espèces sédentaires que nous avons croisés pendant notre séjour?
Le piégeage ou la pression cynégétique ne semblent, manifestement pas peser sur les oiseaux dans ce coin de la planète et la pie grièche semble avoir un bel avenir, si j’en juge d’après ses effectifs, auprès de l’homme et de ses infrastructures.
Elle est même capable de modifier jusqu’à ses habitudes alimentaires : elle est venue, une fois nous chaparder une olive sur la table, l’empaler sur une épine de palmier, la déguster partiellement comme aurait fait la nôtre avec un ….scarabée ou un oisillon !
Bien sur, à l’extérieur de l’hôtel nous avons pu constater que les oiseaux, tout en étant bien moins sauvages que chez nous, maintenaient une distance de fuite plus importante que notre Boubchir.
Mais le microcosme constitué par l’hôtel, ses ressources, sa promiscuité humaine peut développer chez ces oiseaux, d’ordinaire très farouches, des comportements troublants.
Une interrogation « philosophique » m’est venue à l’esprit.
Combien de temps mettraient les oiseaux, si on décidait , un jour, comme un seul homme, de les laisser en paix, et au contraire de les aider, pour nous pardonner nos persécutions ?
Ils viendraient alors nous faire admirer leurs incomparables beautés, autrement qu’a travers le petit trou de la lunette, une photo, ou du fond d’un congélateur !
Car il faut bien l’admettre, je n’aurais jamais pu imaginer que la pie grièche soit un si bel oiseau (*) surtout lorsqu’on a la chance de la voir évoluer d’aussi près.
Son espièglerie, ses mimiques, d’habitude cachés, témoignent d’une malice voire une intelligence insoupçonnées.
C’est dans l’avion du retour qui laissait derrière ses réacteurs, un panache de pollution que je m’endormis en rêvant à un monde idéal.
Les rolliers et autres merles bleus défilaient sur le rebord de ma fenêtre éternellement ouverte ……sur une nature exubérante.
Le froid de l’aéroport de Marignane sous la neige me réveilla brutalement et j’eus une pensée pour « ma » Boubchir, que j’avais laissée là-bas dans son petit coin de désert bétonné.
En grattant le givre sur le pare brise de la clio qui devait nous ramener à Tarascon, on s’est remis à tousser……
(*)Pour les puristes:
Lien vers le site de Alain Fossé pour voir l’oiseau
La pie grièche grise qui nous a accompagné lors de notre voyage est bien répandue en Afrique du Nord .
Elle fait partie de l’espèce « elegans », plus pâle et avec plus de blanc aux ailes que notre espèce type, sans le rose à la poitrine qui caractérise la pie grièche méridionale .
Hervé Bertozzi