Splendeurs natur’ailes n°25 : où sont passées nos pies-grièches ?
“Quel tarnagas, ce petit !”
Que de fois n’ai-je entendu ce reproche que m’adressaient les adultes, quand j’étais gamin.
On pourrait le traduire par : “quelle tête en l’air !“ ou plus prosaïquement : “quel couillon !”
Cette expression, totalement disparue de notre vocabulaire local, faisait référence aux pies-grièches (alias les “tarnagas” en patois) qui font elles-mêmes référence aux pies.
La ressemblance avec l’agasse (comme elle était baptisée à l’époque), le malin corvidé noir et blanc, soit-disant voleur, est pourtant toute relative.
Mais bon, en ces temps-là, l’imagination fertile des gens qui vivaient majoritairement dans les campagnes, n’avait pas de limite.
Ces passereaux qu’on repérait facilement avec leur plumage contrasté, leur grosse tête et leur longue queue, souvent fins chanteurs, étaient très communs dans nos garrigues provençales à végétation rase, parsemées de quelques arbustes.
Pourquoi ai-je toujours ressenti une telle fascination pour ces petits bandits masqués au bec crochu ? (*)
Je ne le sais pas vraiment. On pourrait dire que je les trouve jolies, tout simplement, mais pas que…
Peut-être aussi parce que, lorsque j’étais privé de dessert, je ne me privais pas de déguster le désert qui m’ouvrait les bras et qui m’était servi sur le plateau qui surplombe Beaucaire, m’offrant, jusqu’à plus soif, un merveilleux cocktail de découvertes naturelles.
Quelques haies vives séparaient les rares parcelles exploitées, adaptées à une agriculture traditionnelle ou extensive.
Elles ont disparues, sacrifiées sur l’autel du remembrement de la politique agricole commune.
Il y avait plein d’insectes, d’oiseaux chanteurs et des rongeurs dont les populations, aussi, se sont effondrées, immolées dans le temple du “progrès” et son cortège de pesticides.
Il y avait des garrigues, où le regard se perdait, qui embaumaient l’air ambiant de senteurs aromatiques.
De loin en loin, dérangé par ce Robinson à vélo et en culotte courte, d’une petite sommité, un éclair blanc s’envolait en râlant.
Frôlant le sol de son vol onduleux sur quelques dizaines de mètres, ailes vibrantes, il allait se percher plus loin, dans une ultime ressource, sur un autre poste de guet.
Je venais de pénétrer sur le territoire d’un tarnagas !
Aujourd’hui, ils ont quasiment disparu, en quelques décennies seulement.
Il me reviens, qu’en ces temps là, à la fois si proches et si lointains, où l’on se devait de toujours trouver une explication populaire expéditive, on disait qu’elles tuaient férocement leurs proies.
Férocité, cruauté… Quelle étrange manie ont les hommes à se trouver des miroirs partout…
On pensait qu’elles étaient chargées d’exercer la justice parmi le petit peuple des champs, puis, pour les punir de quelques méfaits commis en son domaine, elles les empalaient sur les épines d’une aubépine ou d’un églantier.
Aujourd’hui, il ne reste plus que les épines avec lesquelles les destructeurs de la nature pourraient glorieusement se faire une couronne.
En réalité, cette étrange habitude de l’espèce, particulièrement développée chez la bien-nommée Pie-grièche écorcheur, la plus petite de la famille vivant en France, n’est qu’un réflexe inné pour se constituer un garde-manger.
Comme ils ne peuvent pas, comme les rapaces, tenir leurs proies les plus volumineuses entre leurs pattes, ils peuvent, une fois fixées, les dépecer plus facilement.
Avec humour, Paul Géroudet se demandait, en découvrant leurs “lardoirs” dans un buisson, si elles n’étaient pas “les ancêtres des collectionneurs entomologistes”… ça fait rêver !
On embroche bien et on pend bien nos saucissons et nos jambons pour les conserver…
Mais voilà ! A l’époque, les croyances avaient la vie dure, beaucoup plus que nombre d’animaux disparus avec l’invasion de leurs territoires par l’homme et son “modernisme”.
Durant plusieurs mois, lorsque j’ai parcouru la plaine de Crau pour la création d’un album éponyme, je n’ai découvert qu’une seule famille de l’espèce “méridionalis”, que je n’ai plus jamais revue.
Cette année, je me suis arrêté longuement au bord d’une route pour admirer un couple de Pies-grièches à tête rousse.
Je m’en contente, je n’ai pas le choix.
La jeune Pie-grièche à poitrine rose que j’ai photographiée en Camargue, il y a quelques années, peut être considérée comme un précieux témoignage appartenant bientôt au passé.
Allez, va ! Heureusement que, depuis l’autre bout de la planète, notre “z’ailé” correspondant, l’Oiseau bleu, m’a envoyé quelques photos des Pies-grièches locales, aux populations florissantes, prises vers le tropique du capricorne (un insecte que ne bouderaient pas nos oiseaux !) dans la savane où il coule une douce retraite hivernale… le veinard !
A bientôt.
H.B.
*Le tarnagas que je suis, doit avoir, malgré tout, un peu de suite dans les idées car, déjà, en 2008, lors d’un voyage en Tunisie, j’avais rapporté une anecdote sur cette espèce, que mes amis de Gard nature ont retrouvé et qui ouvre la rubrique des récits…
Pie-grièche méridionale… Je ne sais pas pourquoi cette photo me plaît
Pie-grièche à poitrine rose juvénile, un dernier espoir…
Après la plus rare, la moins menacée, la Pie-grièche écorcheur…
Pies grièches d’Afrique du sud:
Voilà ce qui risque de vous arriver : si vous ne voulez pas être épinglés et redressés fiscalement, évitez la Pie-grièche fiscale…Sur une aire d’autoroute, un jeune quémande à manger à ses parents. Derrière lui, un camion passe dans un vacarme assourdissant. Deux monde se frôlent