Splendeurs natur’ailes n°12 : les mal-aimés

L’histoire du “Peter Pan” de la lône disparue et de la fée “Clochette”, la libellule, n’ayant manifestement pas recueilli un grand succès, si j’en juge d’après le faible nombre de retours
(le seul  baromètre dont je dispose pour mesurer votre intérêt…) et aussi parce que j’adore cultiver les contrastes, je vous emmène, cette semaine, à l’autre extrémité des “Natur’ailes”, chez le peuple des géants de l’espace…
Janvier 2019.
A flanc de montagne, dans un coin perdu des Pyrénées espagnoles nous escaladons un sentier qui serpente entre les fourrés épais de la Sierra de Guara.
Nous collons aux pas d’un vieux sage qui trimbale une cargaison odorante de viscères et de carcasses glanée dans un abattoir.
Nous sommes seuls au monde. Le pays entier prépare l’Épiphanie, cette grande fête catholique qui cloue les Ibères à la maison.
Pas un souffle de vent, tout n’est que calme et sérénité.
On ne distingue plus la vallée, simplement quelques pitons rocheux qui émergent d’une mer de brume.
Tout à l’heure, nous étions dans cette extraordinaire nappe de brouillard givrant qui a saupoudré de cristaux immaculés tout ce qu’elle a enveloppé lors de son passage nocturne.
Des pointillés commencent à apparaître dans l’azur limpide.
L’homme, peu loquace, se tourne alors vers nous en tendant l’index vers le ciel : ”Buitre!”(*), nous dit-il calmement…
Ces taches noires qui se rapprochent vont peu à peu se transformer en ombres immenses, glissant en silence sur les roches blanchies de lumière.
La surprise est totale lorsque les planeurs géants vont venir nous frôler pour se poser en silence, les uns après les autres, et nous faire une haie d’honneur le long du sentier.
Inapprochables habituellement, sans le moindre bruit, ils ont surgi de nulle part, par centaines, pour être au rendez-vous fixé par leur ami…
Nous allons bientôt frôler ces murets de plus en plus denses, faits de plumes et de becs.
De près, en dépit de leur réputation de charognards féroces et répugnants, je n’ai sous les yeux que des créatures pacifiques (qui ne le seront plus vraiment au moment de passer à table !) au regard doux, dotées d’un long cou de plumes fines, séparé du corps par une jolie fraise blanche qui, telle un bavoir, empêche les ruissellements.
Le temps semble suspendu, une forme d’exaltation m’envahit.
Un vieux rêve de gosse est peut-être en train de se réaliser, même un court instant : celui d’une cohabitation harmonieuse avec d’autres créatures, mal-aimées, qui partagent notre Terre…
Notre guide commence à murmurer des “vinga ! vinga !” empreints de tendresse…
Nous allons bientôt vivre un spectacle magique, baroque et déroutant, au bouquet final tellement inespéré qu’il restera gravé à tout jamais dans ma mémoire.
Sur le chemin du retour, au moment où les crêtes s’habillent de rose, nous rentrerons par la même route toujours ourlée de givre, celui-là peut-être qui m’a rendu givré… de toutes ces splendeurs naturelles.
A bientôt, peut-être…
H.B.
P.S. : Les Vautours, ces mal-aimés, puisque c’est bien d’eux qu’il s’agit, vous l’aviez deviné, sont indispensables aux équilibres naturels.
Spécialisés depuis la nuit des temps dans l’effacement de la mort, sans jamais la donner, ils arrivent les derniers pour nettoyer les cadavres, évitant ainsi la prolifération des épidémies.
Traqués jusqu’à l’extinction dans de nombreux pays, rares sont les cultures qui leur concèdent aujourd’hui le respect qu’on leur accordait autrefois.
Heureusement, il existe des hommes capables de ralentir cette spirale destructrice. Je le sais, j’en ai rencontré un en Aragon…
(* Vautour, dans la langue de Cervantès)
La lumière dorée du petit matin nous dévoile un décor de contes de fées.

Voiliers incomparables, ils peuvent planer durant des heures dans les courants thermiques.
C’est le Vautour de Rüppell qui détient le record du vol en altitude avec 11300 m !
Les Vautours fauves (ou Griffons) surgissent de nulle part…
Excepté le fait qu’il ne s’agit pas des poules de ma grand mère qui parlait à ses volailles, la scène prend une tournure surréaliste lorsque le gourou, encerclé par ses protégés, entame une discussion avec eux…
Il vient ici depuis 40 ans, certains Vautours, qui ont dépassé cet âge canonique, sont les premiers à accourir à sa rencontre.

Sur un signal invisible, la curée est déclenchée. L’œil indiscret de mon appareil pénètre dans cet univers impitoyable.

 

…puis les Griffons s’écarteront pour digérer un instant.

 

“Quebranta-huesos !” s’écrie le vieil homme. Un “casseur d’os”, le mythique seigneur des cimes, celui que je n’espérais plus, vient d’arriver.
Un magnifique Gypaète barbu nous survole en nous observant de son regard magnétique.

Il repartira avec un os. Il est le dernier maillon de la chaîne écologique.
Géroudet disait de lui que “pendant des siècles il avait été le dragon malfaisant dont une haine imbécile glorifiait la destruction”…
Quand au soleil couchant, la placette sera nettoyée, les grands voiliers s’envoleront lourdement vers les falaises pour digérer et y passer la nuit.
Le plus grand avec près de trois mètres d’envergure : le Vautour moine, peut fréquenter le charnier, et le plus petit : le Troglodyte mignon mille fois moins lourd que lui, a le droit lui aussi d’assister au spectacle.
Le plus petit des Vautours : Le Percnoptère fréquente les charniers lui aussi, mais c’est un migrateur absent l’hiver chez nous.